

Dans l'aspiration du cyclisme, l'ultra-trail adopte le "high carb" dans un certain désordre
Influencés par les cyclistes du Tour de France, les ultra-trailers se sont lancés ces dernières années dans une nutrition intense en glucides à l'effort, le "high carb", même si la science tâtonne encore sur le sujet.
"Le +high carb+ est la plus grande révolution de l'histoire des sports d'endurance", note dans le magazine Outside le trailer américain David Roche, infatigable promoteur de cette pratique appliquée lors de ses succès en 2024 sur des courses réputées de 100 miles (160 km), le Leadville Trail 100 Run et la Javelina Jundred.
"Le +high carb+ permet aux athlètes de pousser plus fort pendant les courses sans vider leur réservoir, mais aussi de mieux récupérer et donc de bénéficier d'une meilleure adaptation après un entraînement", estime encore celui qui est aussi entraîneur à succès et hôte de l'influent podcast de trail SWAP.
L'ingestion de glucides à haute dose (l'un des carburants de l'effort, avec les lipides) s'est rapidement répandue ces dernières années chez les coureurs de tout niveau et de tous types d'épreuves, malgré le risque de l'inconfort digestif, qui peut mener aux vomissements et à l'abandon.
"C'est quand même beaucoup plus compliqué d'avoir des absorptions de haut grammage en glucides en course à pied qu'en vélo, à cause des inconforts digestifs que provoque la course à pied", confirme Lilian Calmejane, ancien cycliste professionnel reconverti dans le trail, dans un entretien accordé à l'AFP.
"En course à pied, poursuit le vainqueur d'une étape lors du Tour de France 2017, on est aussi souvent déshydraté. Sur une étape du Tour ça m'arrivait de boire jusqu'à 16 bidons (d'un demi-litre), trois par heure. Alors qu'en course à pied il faut faire avec la contrainte des ravitaillements, il est difficile de boire assez pour compenser ses pertes."
- Il y a 20 ans, burritos et burgers -
L'Américain Caleb Olson, vainqueur le mois dernier de la réputée Western States 100, avait consommé en moyenne 104 grammes de glucide par heure lors de sa 5e place sur cette même course en 2024. Certains ultra-trailers comme Roche consomment jusqu'à 120 g/h, soit l'équivalent énergétique d'un litre de coca ou de 700 grammes de riz blanc cuit.
"Les coureurs de haut niveau ont toujours su qu'ils devaient beaucoup manger", note pour l'AFP Andy Jones-Wilkins, figure historique du trail américain, 2e de la Western States en 2005.
"La différence c'est qu'il y a 20 ans on devait se débrouiller avec de la nourriture solide, on mangeait des burritos, des sandwiches, des burgers, tout ce qu'on pouvait trouver. Depuis cinq ans, des entreprises ont davantage travaillé avec la recherche et rendu accessible à tout le monde des hauts volumes de glucides sous forme de gels ou de boissons d'effort. J'aurais aimé avoir cela il y a 20 ans."
Paul Booth, chef nutritionniste pour l'équipe de trail Salomon, explique lui que les meilleurs "peuvent tenir un rythme cardiaque élevé plus longtemps et ont donc des besoins bien plus élevés" que les amateurs, pour qui cette pratique n'est pas forcément adaptée.
"La recherche n'a pas encore prouvé, ça peut venir, que des apports très élevés à 120g/h ont un gain direct sur la performance", dit encore ce spécialiste de la nutrition liée à la performance, diplômé de la Carnegie School of Sport à l'Université Leeds Beckett, qui souligne toutefois que les gains pour la récupération sont reconnus.
- Un "consensus" à définir -
"C'est délicat parce que tout le monde s'est mis au +high carb+, même sans support scientifique. Historiquement, les ultra-trailers étaient sous-alimentés. Disons que les gens sont passés d'un coup d'une moyenne de 60 g/h à 120 g/h. Je trouve que les sportifs en font un peu trop actuellement. Je pense que le consensus va s'établir autour de 90/100 g/h", dit encore le chercheur, qui souligne aussi le caractère essentiel de l'hydratation.
Paul Booth note encore qu'il est difficile de comparer les ultra-trailers, et leurs efforts de 15 heures ou bien plus, aux cyclistes du Tour de France et leurs étapes de 4 à 6 heures.
"Tout dépend de la durée de l'effort et de l'intensité, avec d'autres facteurs comme la chaleur, l'altitude et les capacités individuelles de digestion", précise-t-il.
Les spécialistes des épreuves de trail "courtes" (marathon, 50 km) seraient ainsi davantage à comparer avec les cyclistes, qui ont l'avantage de s'appuyer sur des équipes scientifiques fournies.
Et, ajoute le scientifique, la "nouvelle norme high carb" est par ailleurs "fortement poussée" par l'industrie de la nutrition à l'effort, adossée au business déjà florissant des compléments alimentaires.
Ch.P.Wagner--BVZ