Manifestations à Madagascar: au moins 22 morts selon l'ONU, le président renvoie le gouvernement
Au moins 22 personnes ont été tuées à Madagascar d'après l'ONU depuis le début jeudi des manifestations ayant embrasé le pays, où le président, face à la poursuite du mouvement, a annoncé lundi le renvoi de son gouvernement.
L'île de l'océan Indien, qui demeure l'un des pays les plus pauvres du monde, a régulièrement connu des émeutes populaires contre les pouvoirs en place depuis son indépendance en 1960. Elles ont notamment abouti en 2009 au départ de l'ex-président Marc Ravalomanana.
"Au moins 22 personnes ont été tuées et plus d'une centaine blessée", a affirmé le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme dans un communiqué diffusé lundi.
"Parmi les victimes figurent des manifestants et des passants tués par des membres des forces de sécurité, mais aussi d'autres tués lors des violences et des pillages généralisés qui ont suivi, perpétrés par des individus et des gangs sans lien avec les manifestants", poursuit le texte du Haut-Commissaire, Volker Türk, qui se dit "choqué" par la "réponse violente des forces de sécurité".
Mobilisés depuis jeudi, des milliers de protestataires sollicités via les réseaux sociaux à travers un mouvement baptisé Gen Z, sont descendus lundi dans les rues de la capitale Antananarivo, a constaté une équipe de l'AFP. Les revendications y dépassent désormais le ras-le-bol initial qui s'exprimait contre les coupures incessantes d'eau et d'électricité.
- Premier ministre historique renvoyé -
Contesté personnellement, le président Andry Rajoelina a annoncé lors d'une allocution solennelle lundi soir "mettre fin aux fonctions" de son gouvernement, y compris de l'indéboulonnable Christian Ntsay, Premier ministre depuis 2018, quand il avait été nommé par le précédent président.
"En attendant la formation du nouveau gouvernement, ceux qui sont en place assureront l'intérim. Durant les trois prochains jours, nous allons recevoir les propositions de noms de Premier ministre", a ajouté le chef d'Etat, qui avait s'était déjà séparé de son ministre de l'Energie vendredi.
Plus nombreux que lors du dernier rassemblement samedi et pour beaucoup vêtus de noir, les manifestants, partis de l'université d'Antananarivo, ont scandé lundi des chants appelant à la démission du président.
Ancien maire d'Antananarivo, Andry Rajoelina, 51 ans, s'était installé une première fois au pouvoir de 2009 à 2014 à la faveur d'un coup d'Etat faisant suite à un soulèvement populaire. Il s'est ensuite fait élire en 2018 puis réélire en 2023 lors d'un scrutin contesté.
Un des mots d'ordre affichés désormais par la Gen Z via ses canaux est "Rajoelina, dégage" ("Miala Rajoelina").
"A peine sommes nous sortis dans la rue que les forces de l’ordre ont décidé de nous tirer dessus", a accusé lundi auprès de l'AFP un porte-parole de la Gen Z pour expliquer ce durcissement du positionnement du mouvement. Il souhaite conserver l'anonymat par peur de représailles.
- "Balles réelles" -
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme mis en cause la "force non-nécessaire" avec laquelle les forces de sécurité sont intervenues en relevant que "certains officiers ont également utilisé des balles réelles".
"Aucun chiffre officiel ne corrobore ce bilan", a démenti le ministère des Affaires étrangères malgache à propos des 22 morts recensés par l'ONU.
Le mouvement Gen Z reprend à son compte le drapeau pirate tiré du manga "One Piece", signe de ralliement vu en Indonésie ou au Népal de mouvements de contestation. Il s'est baptisé en référence à la génération des personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010.
Plusieurs protestataires affichaient lundi des pancartes "On veut vivre, pas survivre", un slogan devenu emblématique du mouvement. Ils s'étaient réunis près de l'université d'Antananarivo où les forces de l'ordre leur barraient l'accès vers le centre ville, a constaté l'AFP.
Après la première manifestation de jeudi, Antananarivo a été livrée à des pillages toute la nuit, sans rencontrer d'opposition des forces de l'ordre. Les domiciles de trois parlementaires proches du pouvoir avaient été incendiés dans la journée.
Outre la capitale, la mobilisation est particulièrement suivie dans le nord, à Antsiranana. Des rassemblements sont signalés à Fianarantsoa (centre du pays), Toliara (sud) Toamasina (est).
Il s'agit des manifestations les plus importantes depuis la période précédent l'élection présidentielle de 2023. Boycotté par l'opposition, le scrutin avait attiré la participation de moins de la moitié des électeurs inscrits.
En dépit de ses richesses naturelles exceptionnelles, Madagascar reste l'un des pays les plus pauvres de la planète et est classé 140e sur 180 pays dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International. Près de 75% de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022, d'après la Banque mondiale.
S.Dietrich--BVZ