

L'expulsion des Haïtiens, coup dur pour l'économie de la République dominicaine
La peur ne quitte plus Agamise Cheranfant, contraint à se cacher à la fin de sa journée de travail dans les champs de bananes de République dominicaine. Cet Haïtien vit sans papiers, dans la hantise d'être expulsé.
La politique de fermeté contre l'immigration illégale du gouvernement dominicain se répercute sur les exploitations de banane, un secteur déjà fragilisé et qui dépend grandement de la main-d'œuvre étrangère, à l'instar d'autres pans de l'agriculture mais aussi des secteurs du tourisme et du BTP où les ouvriers sont en majorité haïtiens.
Les plantations situées à Mao (nord-ouest) emploient peu de Dominicains pour la récolte de bananes, synonyme de journées harassantes sous un soleil ardent. Un travail pénible et peu rémunéré: 800 pesos par jour, soit moins de 14 dollars.
A la difficulté du labeur s'ajoute désormais, pour les salariés haïtiens, la crainte d'être expulsés.
"Nous sommes toujours effrayés, toujours cachés", explique à l'AFP Agamise Cheranfant, 33 ans, dans un espagnol rudimentaire. "Nous fuyons le matin, la nuit, à trois heures, une heure du matin. Tu dors avec la peur, tu manges avec la peur. Nous ne pouvons pas vivre tranquilles", raconte-t-il.
- Expulsions à tout-va -
La République dominicaine partage l'île caribéenne d'Hispaniola avec Haïti, le pays le plus pauvre des Amériques, mis à genoux par des gangs violents accusés de meurtres, de viols et d'enlèvements.
La violence à Haïti s'est intensifiée au cours de l'année écoulée et un nombre record de près de 1,3 million de personnes ont été forcées de fuir les violences pour trouver refuge ailleurs dans leur pays, selon l'ONU.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2020, le président dominicain Luis Abinader, réélu triomphalement en 2024, a durci la politique migratoire du pays, lançant notamment la construction d'un mur le long de la frontière avec Haïti.
Son gouvernement a multiplié les contrôles et les expulsions de sans-papiers, allant même jusqu'à arrêter des Haïtiennes qui venaient d'accoucher.
Au premier semestre 2025, plus de 200.000 Haïtiens ont ainsi été renvoyés dans leur pays.
Pour l'association des constructeurs (Acoprovi), ces "opérations de rapatriement désordonnées" ont entraîné une "réduction de la disponibilité de main-d'œuvre" pour des tâches qui "ne suscitent pas l'intérêt des Dominicains".
Dans certaines zones, l'offre de main d'œuvre a chuté de 40% à 80%.
Le tourisme, par exemple, "a été affecté dans des secteurs comme la cuisine", explique Henri Hebrard, économiste et conseiller dans le secteur public et privé.
Les secteurs du bâtiment et de l'agriculture s'accordent sur la nécessité d'un plan de régularisation pour ces travailleurs indispensables. Acoprovi propose la délivrance de 87.000 permis de travail temporaires. Les producteurs de bananes recensent eux 15.000 ouvriers haïtiens.
Le gouvernement, pour l'instant, n'a montré aucun signe d'inflexion.
- Travailleurs "nomades" -
La République dominicaine exporte des bananes vers plusieurs pays d'Europe, des Caraïbes et des États-Unis. Cette culture fait partie des 5,6% que pèse le secteur agricole dans le PIB du pays.
La banane dominicaine était déjà en crise, frappée par la météo, les ravageurs et l'augmentation des coûts. La production a chuté de 44% entre 2021 et 2024, selon les chiffres de l'association de producteurs Adobanano.
S'ajoute désormais à ce tableau sombre l'incertitude provoquée par le manque de main-d'œuvre.
"Ici, les effectifs ont diminué de plus de 50%" à cause des expulsions, observe le producteur Osvaldo Pineo.
Une partie des ouvriers haïtiens travaille désormais "de manière nomade", souligne-t-il. "Aujourd'hui, ils vous offrent le service mais demain, vous ne savez pas si vous l'aurez".
Pour les employeurs aussi, un risque existe. "Si vous les faites monter dans un véhicule et qu'il est contrôlé (par les autorités), vous êtes accusé d'être un trafiquant de personnes sans papiers", se désole le producteur.
L.Horn--BVZ